Le temps presse

14.01.2022 Un rapport de la BFH-HAFL dépeint un sombre scénario : des récoltes en chute libre, des millions de producteurs dans la pauvreté. Le changement climatique est un facteur de poids.

Ingrid Fromm, collaboratrice scientifique à la BFH-HAFL, étudie depuis des années les chaines de valeur dans l’agriculture et comment le changement climatique les impacte. En collaboration avec Christine Jurt (cheffe de projet), Mélanie Feurer, Sophie Marchesi, Laura Kuonen et Odera Magowa Wycliffe, ainsi que des chercheurs de l’Université libre d’Amsterdam, elle a publié fin octobre un rapport montrant comment le changement climatique impacte l’agriculture dans certaines régions du monde.

Le rapport, réalisé sur mandat de l’organisation faitière Fairtrade International et publié en amont de la COP26 à Glasgow, est appel instant aux politicien-ne-s, les exhortant de prendre immédiatement des mesures globales et de définir des objectifs contraignants (cf. encadré). Car le temps presse. En effet, l’étude conclut que les répercussions toujours plus fortes du changement climatique représentent un risque majeur pour l’agriculture mondiale et mettent en péril la subsistance de millions de paysan-ne-s et de travailleurs du commerce équitable.

Ingrid Fromm étudie les chaines de création de valeur. Agrandir l'image
Ingrid Fromm étudie les chaines de création de valeur.

120 personnes sondées

« Bananes, café, thé ou canne à sucre, bref, tous ces produits que nous tenons pour acquis, sont menacés par les conséquences du changement climatique », explique I. Fromm. Pénurie d’eau, canicules, ravageurs, phénomènes météorologiques extrêmes – les conséquences du changement climatique sévissent surtout au sud du globe, aggravant encore les inégalités socioéconomiques. « Ces facteurs suffisent pour menacer sérieusement les chaines mondiales d’approvisionnement. En même temps, de nombreux travailleurs agricoles sombrent toujours plus dans la pauvreté.

Souvent, nous ne pouvons même pas concevoir à quel point la lutte pour la survie est difficile pour ces petits paysans. » Les autrices se sont appuyées sur des enquêtes menées par Fairtrade, des ouvrages spécialisés et des sondages. « Pour ceux-ci, des gens sont allés sur place et ont interrogé les travailleurs agricoles. » Près de 120 producteurs d’Inde, du Ghana et du Pérou ont fait part de leurs impressions. En raison de la pandémie, les travaux ont duré environ deux ans.

Les résultats ne nous ont pas vraiment surpris-e-s, ce qui ne veut pas dire que nous n’avons rien appris de nouveau », déclare I. Fromm. « Il est important de tenir compte de la géographie lorsque l’on compare les différents produits. »

Sècheresses extrêmes, pluies diluviennes

Les producteurs de bananes d’Amérique centrale, par exemple, sont confrontés à des périodes de sècheresses toujours plus extrêmes. « Et soudain se déchainent des cyclones, qui anéantissent les efforts. L’année passée, les ouragans Eta et Iota ont complètement dévasté la production agricole dans la région », explique I. Fromm. « Et lorsque les récoltes sont décimées, la capacité des producteurs à subvenir à leurs propres besoins, à ceux de leur famille et de leurs communautés faiblit elle aussi. »

Toutefois, les travailleurs agricoles ne sont pas que des victimes. « Bien au contraire : ces personnes jouent un rôle décisif dans le développement de solutions résilientes, qui ouvrent la voie vers un avenir plus durable », poursuit la docteure en économie. Elle vient d’ailleurs de rentrer du nord de l’Ouganda, où elle travaille sur un projet pour aider les petits producteurs dans les cultures, la vente et la commercialisation de leurs produits.

Dans leur rapport, les autrices exigent que soit reconnu le rôle décisif des travailleurs agricoles à l’échelle locale dans la lutte contre le changement climatique. Ces personnes devraient bénéficier d’aides financières pour engager des mesures de protection efficaces. « Il est crucial d’agir maintenant et d’attaquer le problème du changement climatique sur plusieurs fronts », déclare I. Fromm. Les ajustements purement techniques n’ont pas suffi. « Il faut impérativement développer des mesures en collaboration avec les productrices et les producteurs. Ensuite seulement, on peut envisager des stratégies communes dans un contexte global. » Le rapport fait un premier pas dans cette direction. « À présent, les décideurs ont le devoir d’agir. »

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Des récoltes menacées : Production de bananes en République dominicaine

COP26 : décision sur les aides financières

Les représentant-e-s de près de 200 États se sont retrouvés en novembre à la conférence de Glasgow sur le climat. Cette 26e Conférence des Parties portait sur la mise en oeuvre de l’Accord de Paris, lequel oblige les États à prendre des mesures concrètes pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de limiter la hausse mondiale des températures à 1,5 °C. Lors de la Conférence, les États se sont notamment mis d’accord sur des aides financières pour les pays pauvres, afin que ceux-ci puissent s’adapter aux conséquences de la crise climatique. Concrètement, ces aides doivent être doublées pour atteindre environ 40 milliards de dollars d’ici 2025.

Selon I. Fromm, la signature de l’Accord de Glasgow reflète la volonté de nombreuses nations de parvenir à un compromis. « Mais les délégué-e-s semblent être rentrés chez eux avec un sentiment d’inachevé. Le changement de dernière minute apporté par l’Inde – réduire le charbon plutôt que l’éliminer – est surprenant. Ce pays a besoin d’investir massivement dans des énergies propres. Et il est fortement touché par le changement climatique, comme l’a montré notre rapport. »

Le magazine infoHAFL

Ce texte a été publié dans notre magazine infoHAFL 02/2021.

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