«Nous avons besoin de plus de femmes entrepreneures»

15.09.2022 En Suisse, les entreprises sont plus souvent créées par des hommes que par des femmes. Une équipe de recherche a analysé le pourquoi de cette situation. Nadine Hietschold, de la Haute école spécialisée bernoise, évoque les obstacles, les clichés et les changements souhaités.

Porträt de Dr. Nadine Hietschold
Dr Nadine Hietschold, chercheuse à l’Institut Innovation and Strategic Entrepreneurship de la Haute école spécialisée bernoise. Image: DR

L’étude signée par la Dr Nadine Hietschold et ses coauteur-e-s sur le thème «Women entrepreneurship» partait d'un constat insatisfaisant: «Le taux de création d’entreprises par des femmes, soit la proportion de femmes qui développent une nouvelle entreprise ou dirigent une société née il y a moins de trois ans et demi, se situe à 7,2 pour cent selon les derniers résultats du Global Entrepreneurship Monitor pour la Suisse. Un pourcentage largement inférieur au taux de 12,3 pour cent enregistré pour les hommes.» Nadine Hietschold a cherché à comprendre les raisons de cet écart. Avec la Prof. Dr. Susan Müller, Jan Keim et la Prof. Dr. Ingrid Kissling-Näf, elle a donc examiné les conditions auxquelles sont soumises les entrepreneures et identifié cinq domaines dans lesquels il serait possible d’apporter des améliorations notables.

Comment avez-vous recueilli, avec vos coauteur-e-s, les données pour l’étude «Für mehr Gründerinnen in der Schweiz: Ansatzpunkte zur Verbesserung gründungsrelevanter Rahmenbedingungen»?

Nous avons procédé de deux façons: d’une part, nous avons travaillé avec des questionnaires écrits que nous avons adressés à des spécialistes nationaux dans le cadre du National Expert Survey pour le volet suisse du Global Entrepreneurship Monitor. D’autre part, nous avons mené des entretiens avec des représentant-e-s du monde suisse de l’entrepreneuriat ainsi que des décideurs et leaders d’opinion dans la politique, l’économie et la société civile.

Les résultats ne sont pas sans surprise. Dans quelle mesure le système éducatif prépare-t-il les élèves à des carrières d'entrepreneur-e-s par exemple?

À l’heure actuelle, les connaissances entrepreneuriales ne sont que trop peu enseignées dans la scolarité obligatoire. Nous recommandons par conséquent dans notre étude d’intégrer à tous les degrés les réflexions et l’approche entrepreneuriales. Cette façon de penser et d’agir devrait également être présente dans les écoles professionnelles et les hautes écoles, pour tous les métiers et filières d’études. Car les compétences entrepreneuriales sont un bagage d'avenir. Nous conseillons aussi de proposer davantage d’exemples de femmes entrepreneures, avec lesquelles les jeunes filles pourraient s’identifier.

Quelle est l’importance de ces modèles?

Leur rôle est très important, mais on nous montre trop souvent des clichés, y compris dans les médias. On voit surtout des start-ups fondées par des hommes, nécessitant un investissement personnel intense et axées sur la croissance. En parallèle, les entrepreneures sont souvent présentées comme des femmes exceptionnelles, auxquelles les femmes «ordinaires» ne peuvent pas s’identifier. Cette image ne correspond pas à la réalité et ne reflète pas la diversité des fondatrices et de leurs projets.
Si l'on veut attirer davantage de femmes dans l'entrepreneuriat, il faudrait mettre l’accent sur l’étendue des possibilités offertes. Par exemple, montrer des entreprises qui privilégient la création d’une valeur ajoutée pour la société ou qui développent leur activité à l’échelle régionale. Il serait aussi bénéfique de faire connaître des formes d'organisation qui permettent de démarrer un projet entrepreneurial sans exiger des semaines de 60 heures. Pourquoi pas une entreprise qui aurait deux CEO se partageant la direction?

Voyez-vous aussi des pistes d’amélioration au niveau du financement?

Oui, c’est un second obstacle. Très souvent, les fonds sont destinés aux jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat, ce qui pénalise les femmes qui auraient envie de créer une entreprise après avoir consacré une partie de leur vie à leur famille. Après une interruption, il est en outre plus difficile de s’adapter à la technologie. Il faudrait donc agir à plusieurs égards pour faciliter à ce stade la création d'entreprises par des femmes. Par exemple, les organismes d’encouragement pourraient étendre leur soutien à différentes tranches d’âge, et il faudrait mettre en place des réseaux pour les femmes qui souhaitent démarrer une entreprise à cette période de l’existence.

L'«entrepreneuriat social» qui se développe actuellement n’est-il pas un chemin prédestiné pour les entrepreneures?

Certainement, car il représente un système de valeurs auquel adhèrent de nombreuses femmes. Mieux faire connaître au grand public la vocation de ces entreprises pourrait contribuer à inciter davantage de femmes à se lancer. Cette perspective pourrait être mise en avant dans plusieurs domaines: dans les comptes rendus médiatiques et les programmes de formation pour les futurs entrepreneur-e-s, ou encore dans le cadre du soutien financier aux initiatives. Donner une meilleure visibilité, dans la formation, aux projets orientés vers un impact social aiderait également à éveiller l'intérêt des femmes pour les disciplines STIM, les technologies pouvant en effet être employées pour générer une valeur sociale et diffuser des idées d'entrepreneuriat social. Si davantage de jeunes filles et de jeunes femmes s’intéressent à un stade précoce aux disciplines STIM, cela pourrait également influencer l’orientation de leurs projets d’entreprise.

Il est donc important de travailler là aussi sur les préjugés et la répartition traditionnelle des rôles?

Oui. Dans la conception classique des rôles, les tâches de prise en charge sont assumées essentiellement par les mères. La socialisation et les stéréotypes qui en découlent, ainsi que l’insuffisance des structures d’accueil publiques font que les femmes se lancent moins souvent dans la création d’une entreprise. Même s’il faut généralement du temps pour que les normes évoluent, certaines mesures peuvent modifier les croyances implicites liées au genre et motiver à terme davantage de femmes à fonder leur société.

Si vous deviez nommer quatre raisons pour lesquelles nous avons besoin de plus de femmes entrepreneures?

Si davantage d'entreprises sont créées par des femmes, la diversité augmente, y compris au sein des équipes fondatrices – ce qui pourrait accroître également les alternatives aux projets d'entreprises focalisés sur la croissance et les intérêts monétaires. On peut aussi imaginer que les entrepreneures veilleront à concevoir des produits et des services répondant non seulement aux besoins des hommes, comme c'est le cas habituellement, mais aussi à ceux des femmes et de divers groupes de clientèle. Sans compter que la diversité des équipes est synonyme de meilleures performances. La question de l’évolution démographique et de la pénurie de personnel ne doit pas être oubliée: les femmes qualifiées sont indispensables à l’économie, qui subirait des pertes énormes sans leur contribution. Enfin, et c’est la quatrième raison, une plus grande proportion d'entreprises dirigées par des femmes soutiendrait la transition vers une économie plus durable, sachant que nombre de créatrices d’entreprises ont à cœur d’avoir un impact positif sur la société.

Dans l’étude, vous avez mis en évidence des déclarations de plusieurs expertes. Pourquoi?

Les entrepreneures et expertes à différents stades de l’existence sont une source d'inspiration importante. Et ces citations illustrent les qualités des personnes avec lesquelles nous avons collaboré pour l’étude.

 

Cette interview a déjà été publiée en juillet 2022 dans le BernerBär.

Femmes entrepreneures en Suisse

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