Monter pour se rassurer
16.09.2025 Derrière la gare de Bienne est actuellement en train de naître le Campus Biel/Bienne. Les disciplines techniques de la Haute école spécialisée bernoise y seront à l’avenir regroupées. Joni Merz, qui étudie l’écriture littéraire à la BFH, s’est penché·e de manière littéraire sur le chantier. Vous pouvez lire des extraits de son texte sur la palissade qui entoure le chantier. Ici, vous pouvez lire l’intégralité du texte de Joni Merz :
De là-haut, tout ne parâit pas plus petit. La ville et le ciel deviennent plus grands. Mes mains aussi, d'une certaine manière. Elles tremblent un peu pendant que j'écris ces mots. Pas par peur, mais parce que la grue tourne. Elle vibre, bourdonne et siffle. Je ne sais même pas comment s'appellent toutes ces choses. Le câble en acier bouge. Le grutier a dit que je ne devais pas toucher le câble en acier.
« Ça peut t'emporter »
Sinon, c'est plutôt agréable ici. Du soleil, un vent léger, quelques nuages.
Franchement, j’espérais avoir un peu peur. Pas trop (je veux quand même redescendre en un seul morceau) mais un peu. Parce qu'il est toujours aisé d'écrire par ses sentiments. Mon père, par exemple, a le vertige. Voir que je mange à la fenêtre au quatrième étage suffit a le rendre nerveux. En revanche, moi c’est de parler devant beaucoup de gens qui me fait peur. Faire des discours. C’est pas mon truc. Le grutier fait ça depuis 14 ans. Donc pas de discours, mais la conduite de grues, en haut dans la cabine, seul. En dessous de lui : du verre. Je lui ai demandé s'il n'avait jamais peur, et il m'a répondu que cela dépendait de la force du vent. Il s'appelle Daniel et est assis comme un chauffeur de bus, à sa gauche et sa droite un joystick, des boutons, devant lui un écran sur lequel on voit en direct ce qui se passe en bas au sol.
« C'est comme la télévision ».
70 mètres en dessous de nous, une grande pièce bombée de deux tonnes est en train d’être placée. On y voit trois petits ouvriers en orange qui regardent en l'air, deux d'entre eux font des mouvements de bras. Des annonces bruyantes arrivent par la walkie-talkie.
Je note tout ce qui me semble intéressant :
sacs en plastique Coop, un froissé, un plein, trois, quatre Red Bull, Coca, climatisation, oursons gélifiés, mélange de jus de fruits (500 grammes).
Je me renseigne et découvre que la construction sur laquelle nous nous trouvons s'appelle grue à tour sans tirant, ou bien grue à tour, ou simplement grue, selon les connaissances.
Il nous a fallu un peu moins de dix minutes pour monter — 16 plateformes, 262 échelons, 73 mètres de hauteur. La chef de chantier est partie devant. Je me suis cogné sept fois le genou droit et deux fois la tête (merci le casque). Ce qu'il faut porter en plus : un gilet orange fluorescent, deux grosses bottes en caoutchouc, et deux gants de jardinage.
Je quitte la cabine, monte la petite échelle et me promène sur le bras horizontal, en veillant à ne pas m'approcher trop près du câble menaçant. Il est à nouveau enroulé. Parfois, il arrive qu'un câble touche une autre grue. « Alors tout s'ébranle. » Sur ce chantier, il y en a déjà trois, toutes joliment réglées à des hauteurs différentes. La quatrième est en cours de montage. Un jour, il y en aura cinq.
Je regarde sur mon portable. J’ai rien contre les grues, mais le bec est un peu court et le cou n'est pas méga long. Moi, j’aurais appelé cette construction plutôt « giraffe » ou bien « cigogne ».
En ce qui concerne les gens en bas dans la rue : je ne trouve pas de meilleure expression que les « bonshommes bâtons ». Des petits batôns colorés qui se déplacent dans toutes les directions, s'arrêtent, regardent autour d'eux, regardent en l'air. Certes, c’est pas que des « hommes ». Mais les « fourmis » c'est pas mieux non plus. Si jamais, ce sont des « fourmis qui se tiennent debout et qui prennent des décisions individuelles ». Ou bien des « gens allumettes ».
Ce qu'il y a d'autre à voir : les douze grues à tour au total réparties dans la ville (la jaune la plus vendue), les voies de la gare, les trains qui entrent et sortent, le bus rouge qui attend à un feu à Nidau, le lac de Bienne au sud-ouest, les pigeons qui volent de toit en toit.
Je pourrais passer toute la journée ici. Je parlerai à mon père de ma montée qu’une fois descendu.
L’auteur : Joni Merz
Avant d’entrer à l’Institut littéraire, Joni Merz a vécu pendant deux ans et demi avec sa grand-mère et a étudié la philosophie. Aujourd’hui, il vit en colocation à côté du parc municipal de Bienne et gagne sa vie avec des chats, des lettres et des photos – parfois aussi avec un chien. Une fois ses études à la HKB terminées, il (sans doute) cherchera un stage auprès de la SRF ou d’ARTE et s’installera dans une plus grande ville. Ce qui reste, ce sont ses loisirs : les tours à vélo, les jeux de société, la cuisine et les carnets de notes.