Au bonheur du bruant jaune

12.06.2019 Une équipe de recherche de la BFH-HAFL et de l’Université de Berne a étudié pour la première fois les interactions entre paysage, agriculture et biodiversité sur le Plateau suisse. Sa conclusion : habitats semi-naturels et surfaces de promotion de la biodiversité sont indispensables pour préserver la richesse en espèces.

L’agriculture actuelle doit affronter un double défi : produire toujours plus d’aliments tout en ménageant l’environnement et en conservant la biodiversité. Et s’il est certain que l’exploitation intensive des dernières décennies a un impact sur la biodiversité, l’influence sur la faune de la structure et de l’exploitation à grande échelle du paysage n’a en revanche guère été étudiée jusqu’ici. Dans le projet de recherche « Intégration entre production agricole et promotion de la biodiversité dans les régions rurales », une équipe de scientifiques de la BFH-HAFL et de l’Université de Berne a examiné les interactions entre agriculture et biodiversité sous trois angles différents : utilisation des terres, promotion de la biodiversité et productivité.

Les surfaces semi-naturelles plus importantes que les herbages

« Dans une première étape, nous avons sélectionné 91 paysages de 1 km2, répartis sur l’ensemble du Plateau suisse, et y avons analysé l’influence de l’utilisation des terres sur la richesse en espèces », explique Silvia Zingg. Fin 2018, la professeure en écologie et biologie de la BFH-HAFL a soutenu sa thèse de doctorat sur ce projet de recherche à l’Université de Berne. Jan Grenz, professeur en durabilité à la BFH-HAFL et un des superviseurs de sa thèse, ajoute : « les résultats montrent clairement que, pour préserver la biodiversité des papillons diurnes et des oiseaux nicheurs, un paysage rural doit contenir au moins 20 % d’habitats semi-naturels (forêts, haies, plans ou cours d’eau) ». Ces eux groupes taxonomiques reflètent bien la richesse en espèces des paysage ruraux et sont donc de bons indicateurs de l’état de la biodiversité.

En revanche, à la surprise des scientifiques, le rapport entre surfaces assolées (consacrées à différentes cultures en rotation) et surfaces herbagères permanentes, principalement des prairies et pâturages, n’avait pas d’influence sur la diversité spécifique. La raison : au cours des dernières décennies, la richesse botanique de ces surfaces vertes s’est fortement réduite. « Pour exercer un impact positif, les herbages doivent être exploités extensivement, comme surfaces de promotion de la biodiversité », renchérit Silvia Zingg, abordant ainsi le deuxième volet de son projet de recherche.

  Ce texte a été publié dans le magazine « infoHAFL » du BFH-HAFL (avril 2019).  

La part de surfaces promotion de la biodiversité est déterminante

La Confédération a introduit les surfaces de promotion de la biodiversité (SPB) en 1993. Appelées à l’époque « surfaces de compensation écologique », les SPB devaient permettre d’enrayer le recul de la biodiversité dans les régions agricoles, voire d’inverser la tendance. « Diverses études ont déjà montré que ces surfaces peuvent avoir un effet positif sur la diversité des espèces à l’échelle du champ, explique la biologiste. Nous avons pour la première fois examiné leur impact à plus large échelle, à savoir celle du paysage dans son ensemble, et ceci sur le Plateau suisse. »

Dans les 46 paysages ruraux pris en compte dans ce sousprojet, 59 espèces de papillons diurnes, dont 13 menacées, ont été identifiées sur la base des relevés effectués par le monitoring de la biodiversité de l’Office fédéral de l’environnement. Or, les papillons diurnes sont particulièrement dépendants des milieux herbacés. Ils profitent des prairies extensives et des bandes fleuries, où ils trouvent des plantes hôtes et nectarifères. « La proportion de SPB dans la surface agricole utile était le facteur d’influence le plus important pour tous les groupes de papillons », selon Silvia Zingg. D’autres caractéristiques, comme la taille des SPB, ou la distance entre elles, n’avaient pas d’influence visible. « Nos résultats montrent clairement que, pour ces espèces mobiles, une exploitation localement extensive aura une incidence dans un rayon bien plus étendu », résume la biologiste.

Manque criant de surfaces de qualité sur le Plateau

Les deux facteurs qui influençaient le plus la distribution des 99 espèces d’oiseaux nicheurs inventoriées, dont 28 menacées, étaient, d’une part, la proportion générale de SPB, d’autre part, la proportion de SPB de haute qualité. « À noter que nos résultats ont été fortement influencés par deux paysages comprenant une part très élevée de SPB de valeur, fait remarquer Silvia Zingg. L’effet positif a disparu lorsque nous avons exclu ces deux carrés de l’analyse. »

Selon la chercheuse, le fait que les oiseaux nicheurs réagissent surtout positivement aux surfaces de haute qualité écologique, c.-à-d. richement structurées, illustre le réel défi : garantir l’efficacité de SPB. Pour préserver la biodiversité, il faudrait en effet que la part de SPB de qualité couvre 8 à 12 % de la surface agricole, une valeur dont on est bien loin sur le Plateau, en particulier en zone de plaine.

  Contributions à la biodiversité: L’Office fédéral de l’agriculture verse des contributions pour promouvoir la diversité des espèces et des habitats naturels, d’une part pour les surfaces de promotion de la biodiversité (SPB), d’autre part pour des projets de mise en réseau. Les SPB sont des surfaces semi-naturelles, comme des prairies, des pâturages, des bandes fleuries, des haies ou des arbres. Leur exploitation doit être extensive et l’emploi d’engrais et de produits phytosanitaires y est très limité. Pour avoir droit aux paiements directs, les agriculteurs et agricultrices doivent consacrer au moins 7 % de leur surface agricole utile à des SPB. Le montant versé dépend de la qualité des SPB et de leur situation géographique. Les contributions de mise en réseau sont versées si les surfaces satisfont aux directives d’un projet régional de mise en réseau.  
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Paysage rural suisse

Augmenter la part de SPB, mais surtout leur qualité

On n’y coupera pas : « nos résultats confirment l’hypothèse que les SPB ordinaires n’ont qu’une incidence minime sur certains oiseaux nicheurs, explique Silvia Zingg. Pour atteindre les objectifs environnementaux que la Confédération a définis pour l’agriculture, il est donc urgent non seulement d’augmenter la part de SPB, mais aussi d’améliorer leur qualité. » Les possibilités ne manquent pas : les agricultrices et agriculteurs peuvent accroitre la richesse botanique des prairies de fauche à l’aide de mélanges de semences spéciaux, retarder la date de la coupe ou laisser des bandes refuges non fauchées. Mais la conservation ou le rétablissement d’espèces rares et spécialisées requiert, en sus, des plans d’action spécifiques.

Une productivité agricole élevée va-t-elle toujours de pair avec
une diminution de la biodiversité ? « La plupart des gens répondraient oui sans hésiter, commente Silvia Zingg. Mais à l’échelle d’un paysage, les corrélations sont plus complexes. » Dans le troisième volet de son projet de recherche, l’équipe de la BFH-HAFL et de l’Université de Berne s’est penchée sur cette question.

Oiseaux nicheurs et papillons diurnes réagissent
différemment

Elle a observé que, dans les paysages avec peu de surfaces semi-naturelles, une productivité élevée – mesurée en calories produites par km2 – se répercute négativement sur la diversité des oiseaux nicheurs. En revanche, si le paysage comporte beaucoup de ces surfaces, la productivité ne joue plus un rôle significatif. Quant aux papillons diurnes, ils sont plus sensibles

Une particularité de l’agriculture suisse

« À l’échelle du paysage, la production de denrées alimentaires n’est pas obligatoirement négative pour la biodiversité », résume Jan Grenz. Il souligne toutefois que cette conclusion n’est valable que pour le Plateau suisse et son paysage caractéristique, constitué d’une mosaïque de différentes cultures d’assez petite taille et de surfaces semi-naturelles.

Une mosaïque de petites parcelles : calcul de la productivité sur la base des cultures et de l’énergie qu’elles contiennent. Agrandir l'image
Une mosaïque de petites parcelles : calcul de la productivité sur la base des cultures et de l’énergie qu’elles contiennent.

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