Santé sociale

Qu’est-ce que la santé sociale? En collaboration avec des expert-e-s d’autres hautes écoles, la BFH a procédé à une définition de cette notion. Nous vous présentons ici le résultat de ce projet interdisciplinaire et ouvrons le débat.

Fiche signalétique

  • Département(s) responsable(s) Travail social
  • Institut Institut organisation et gestion sociale
  • Durée (prévue) 01.12.2020 - 01.12.2021
  • Responsable du projet Dr. René Rüegg
  • Direction du projet Dr. René Rüegg
  • Équipe du projet Katharina Eiler
  • Partenaire Université de Berne, Institut de sciences des religions, assistant postdoc prof. Dr Andrea Rota
    Université de Berne, Institut de sociologie, Dr Sebastian Mader
    Office fédéral de la santé publique, Prévention des maladies non transmissibles, Dre Annette Fahr, Marianne Jossen, Barbara Kull

Situation de départ et objectifs

Depuis 75 ans, la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé non seulement comme l’absence de maladie, mais aussi comme un état de complet bien-être physique, mental et social (OMS, 1946). Cette définition de l’OMS ne fait pas l’unanimité. Toutefois, elle ouvre la voie à une meilleure compréhension des inégalités croissantes en matière de santé et des aspects sociaux de la santé en général.

Des expert-e-s de trois hautes écoles et de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ont rassemblé différentes perspectives concernant les aspects sociaux de la santé pour en dégager une compréhension commune et interdisciplinaire.

La définition commune de la notion de santé sociale reposait sur la conviction que les aspects sociaux devaient faire l’objet d’une attention accrue dans le cadre de la conception du système de santé. Le résultat de ce processus qui s’est étalé sur plusieurs jours est publié sur cette page web et pourra être débattu. 

«Dans le cadre de mes recherches, je m’intéresse au rôle des interprétations religieuses dans le discours des personnes sceptiques vis-à-vis des vaccins. Cette question est indissociable du contexte des sphères publiques et médiatiques qui traitent de la santé sociale. L’atelier m’a permis de me confronter de manière constructive à une question très actuelle dans un contexte hautement interdisciplinaire.»
Ass. postdoc prof. Dr Andrea Rota

 

«Du point de vue de la promotion de la santé, il est essentiel de parvenir à une compréhension commune de la santé sociale au sens de la qualité de vie et de la cohésion sociales. L’atelier a été l’occasion de définir cette notion dans un contexte inter- et transdisciplinaire.»
Dr Sebastian Mader

Références, bibliographie

  • Knapp, J., Zeratsky, J., & Kowitz, B. (2016). Sprint: Résoudre les problèmes et trouver de nouvelles idées en cinq jours. Éditions Redline. 
  • Max-Neef, M. A. (Éd.). 1991 Human scale development: Conception, application and further reflections. Apex press. 
  • Obrecht, W. (2005). «Umrisse einer biopsychosoziokulturellen Theorie menschlicher Bedürfnisse: Geschichte, Probleme, Struktur, Funktion» (esquisse d’une théorie biopsychosocioculturelle des besoins humains: histoire, problèmes, structure, fonction). Zurich. Haute école de travail social. 
  • Pauls, H. (2004). «Klinische Sozialarbeit: Grundlagen und Methoden psycho-sozialer Behandlung. Grundlagentexte soziale Berufe» (Travail social clinique: bases et méthodes de traitement psychosocial. Textes de base pour les professions sociales). Éditions Juventa.  
  • Pfaff, H., Ernstmann, N., Driller, E., Jung, J., Karbach, U., Kowalski, C., Nitzsche, A., & Ommen, O. (2011). «Elemente einer Theorie der sozialen Gesundheit. In Gesundheit und Gesellschaft. Die Gesellschaft und ihre Gesundheit: 20 Jahre Public Health in Deutschland / Bilanz und Ausblick einer Wissenschaft (Éléments d’une théorie de la santé sociale. Dans la santé et la société. La société et sa santé: 20 ans de santé publique en Allemagne / Bilan et perspectives d’une science, pp. 39–68). VS Verlag für Sozialwissenschaften (Éditions des sciences sociales).
  • OMS. (1946). Constitution de l’Organisation mondiale de la santé: traduction. New York. OMS. 
     

Résumé

Définition

Nous interprétons la santé sociale comme un processus dynamique d’échange et de négociation, dans le cadre duquel sont abordées, d’une part, les connaissances sur les facteurs sociaux déterminants de la santé et, d’autre part, différentes visions de l’état de santé et de la société souhaitables.  

Sont impliqués dans le développement de la santé sociale, d’une part, les chercheuses et chercheurs qui s’intéressent aux conditions-cadres pour la réalisation des objectifs en matière de santé. Et d’autre part, des représentant-e-s de groupes sociaux qui expriment respectivement des objectifs et des besoins physiques, psychiques et sociaux variés et opposés. Les prestations de santé communautaires ainsi que leur répartition sont planifiées, mises en œuvre et évaluées dans le cadre de processus basés sur le dialogue et en tenant compte des ressources limitées.

Application

Cette définition de la santé sociale peut être appliquée à des contextes sociaux, des systèmes sociaux ou des sociétés très divers.

  • Une entreprise en bonne santé sociale investit dans la santé au travail et permet à son personnel de participer au débat sur la définition des objectifs de santé.
  • Une commune en bonne santé sociale identifie les principaux risques pour la santé de ses habitant-e-s et recherche des solutions avec eux et les groupes de personnes concernés.
  • Une famille en bonne santé sociale discute ensemble de ses points forts et de ses défis en matière de santé. Elle réfléchit à ses comportements et à ses habitudes et acquiert les compétences nécessaires pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés en matière de santé.
     

Pertinence

La compréhension de la santé sociale présentée ici comble le vide qui entoure la notion de santé sociale. Une grande distance analytique a été délibérément choisie lors de l’élaboration du concept, afin que le résultat puisse être transposé à différents champs d’application.

Approche

Le problème de l’absence de définition de la santé sociale a été abordé à l’aide de la méthode SPRINT (selon Knapp et al., 2016). Dans le cadre de deux ateliers, les expertes et experts participants ont présenté leur compréhension personnelle de la santé sociale, ont mis en évidence les points communs et les différences et les ont traduits en une compréhension commune. Deux autres ateliers ont permis d’affiner le résultat et de discuter des publications et des projets ultérieurs.

Résultat

Hypothèses de base

En principe, la notion de santé sociale indique que la santé résulte aussi toujours de l’action commune. Par conséquent, la santé est un résultat collectif qui dépend d’une part des ressources disponibles dans la société et d’autre part des relations sociales personnelles. Chaque individu entretient ainsi un échange réciproque avec les prestations de la communauté. D’un côté, il contribue au fonctionnement du groupe ou de la société et, de l’autre, il peut bénéficier de ses contreparties (Pfaff et al., 2011).

Les ressources étant limitées, les membres des sociétés doivent non seulement discuter de la répartition des prestations communautaires, mais aussi des états de santé souhaitables. Sur la base d’une compréhension biopsychosociale de la santé (Obrecht, 2005; Pauls, 2004), on suppose que les objectifs sociaux doivent être pris en compte au même titre que les objectifs physiques et psychiques dans le débat sur les états de santé souhaitables. Les besoins sociaux tels que la justice, la participation sociale, la reconnaissance sociale et la création de sens peuvent servir de repères dans ce débat (Max-Neef, 1991; Obrecht, 2005). 

Détermination de la santé sociale

Les communautés en bonne santé sociale tiennent compte, d’une part, des facteurs sociaux déterminants de la santé et, d’autre part, des objectifs et des besoins sociaux. Leurs membres ne débattent pas seulement de la répartition des prestations de santé communautaires, mais aussi des états de santé sous-jacents et souhaitables en général. La santé sociale d’une communauté repose donc sur deux piliers indépendants: les connaissances de base et le dialogue sur la santé.

La santé sociale ne peut pas être un état final atteignable. Il faut plutôt la comprendre comme un processus continu entre le dialogue participatif sur la santé et les connaissances de base en matière de santé. Sur la base de ce processus, il est possible de planifier, de mettre en œuvre et d’évaluer des prestations communautaires acceptées par la – société, en tenant compte des ressources limitées (graphique 1).

Grafik zu sozialer Gesundheit
Grafik 1: Soziale Gesundheit wird durch verfügbare Wissensgrundlagen und einem dynamischen Gesundheitsdialog ermöglicht. Im Rahmen dieses Prozesses und auf der Grundlage gemeinsam geteilter Werte und Verfahren werden gesellschaftlich akzeptierte Gesundheitsleistungen geplant, umgesetzt und evaluiert.

Dialogue sur la santé

Dialog

La santé est comprise ici comme une caractéristique de la communication sociale. La santé sociale est la capacité des communautés à mener un dialogue ouvert, éclairé et respectueux pour trouver un équilibre entre les objectifs physiques, psychologiques et sociaux. Le dialogue permet d’identifier les lacunes de connaissances, qui sont ensuite intégrées au pilier Bases de connaissances sous la forme de questions de recherche.

Objectif normatif

La question d’une bonne santé physique, psychique et sociale est clarifiée dans le cadre d’un dialogue ouvert. Cette ouverture se caractérise par un processus participatif qui instaure la confiance, du sens et de la cohésion sociale.

Objectif analytique

Objectivement, il s’agit de déterminer comment mettre en place des prestations communautaires équilibrées pour répondre aux problèmes de santé. De manière empirique, on examinera de quelle manière des discours participatifs peuvent être tenus.

Exemples de mise en œuvre

Loi nationale sur la santé

Une loi nationale sur la santé permettrait de définir les principes et les objectifs d’une politique nationale de la santé. Le Parlement, les partis politiques et la population civile devraient établir, dans le cadre d’un dialogue public sur la santé, des objectifs physiques, psychiques et sociaux ainsi qu’une définition globale et fédératrice de la santé. 

 

Stratégie de Santé2030

La stratégie de Santé2030 de la Confédération reflète un consensus de différents politiciens et spécialistes qui se sont penchés sur les défis les plus urgents à relever en matière de politique de santé en Suisse. Sur la base des connaissances, quatre axes ont été définis en vue d’encourager l’égalité des chances (chapitre 6.1). 

 

Votations sur la loi COVID-19

Les référendums sur les dispositions légales suscitent un dialogue public sur la santé, au cours duquel les objectifs et les intérêts physiques, psychiques et sociaux sont pondérés. La possibilité du référendum oblige aussi bien le public que les politiques à trouver des solutions sous la forme d’un compromis acceptable – entre des besoins et des conceptions a priori incompatibles.

Bases de connaissances

Wissensgrundlagen

La santé est comprise ici comme une caractéristique des personnes. La santé sociale est comprise comme la possibilité pour les communautés de créer les bases de connaissances nécessaires à une meilleure compréhension des phénomènes de santé. Sont notamment recensés les facteurs sociaux et environnementaux déterminants de la santé, qui induisent une inégalité des chances en matière de santé. Les connaissances acquises sont rendues exploitables sous la forme d’un savoir utile au dialogue sur la santé.

Objectif normatif

Des études scientifiques permettent de créer des bases de connaissances visant à mieux comprendre les phénomènes de santé. La capacité de jugement et les décisions éclairées sont favorisées grâce à des connaissances objectives.

Objectif analytique

L’objectif empirique est de décrire et d’expliquer de manière objective les phénomènes de santé.

Exemples de bases de connaissances

Égalité des chances dans la promotion de la santé et la prévention en Suisse

Ce document de synthèse de référence portant sur l’inégalité et l’injustice en matière de santé en Suisse résume les principaux constats et modèles permettant d’expliquer les inégalités dans ce domaine. Les critères de réussite et les solutions possibles dans les trois domaines thématiques que sont l’alimentation et l’activité physique, la santé psychique et le tabagisme sont en outre discutés.

Santé des bénéficiaires de l’aide sociale

Cette étude mandatée par l’OFSP examine l’état de santé des bénéficiaires de l’aide sociale au fil du temps et en comparaison avec d’autres groupes de la population. Elle montre, entre autres, que l’état de santé se détériore déjà avant que les personnes n’aient recours à l’aide sociale. Les bénéficiaires de l’aide sociale consultent environ deux fois plus souvent leur médecin de famille que les non-bénéficiaires et sont presque cinq fois plus nombreux à se faire soigner pour des problèmes psychiques.  

Accès aux soins de santé

L’accès aux prestations de soins de santé est une condition-cadre essentielle pour un système de soins équitable. Une récente analyse internationale révèle qu’en Suisse, 26% des personnes à faible revenu déclarent rencontrer des obstacles financiers à l’accès aux soins. Ce chiffre est plus de deux fois supérieur à celui du Royaume-Uni, par exemple.
 

Valeurs communes partagées

Werte

Aussi bien le dialogue sur la santé que l’élaboration de bases scientifiques reposent sur un socle de valeurs communes partagées, qui varient selon la période et le lieu. On retrouve ce socle de valeurs communes par exemple dans le droit international, les constitutions, les codes professionnels ou encore les stratégies commerciales. Les valeurs démocratiques telles que la transparence, la liberté d’expression et la capacité de consensus sont particulièrement importantes pour la présente conception de la santé sociale.

Prestations communautaires

Massnahmen

Les prestations communautaires sont issues du dialogue public et des bases scientifiques. Les deux piliers sont indispensables à une planification, une mise en œuvre et un suivi adéquats des prestations communautaires. Si le pilier des bases scientifiques est mis à mal, les mesures risquent de ne pas être efficaces. Si le dialogue est trop peu participatif, voire inexistant, les mesures peuvent avoir un effet déresponsabilisant et paternaliste. 

Étude de cas: la santé sociale dans un quartier urbain

Ueli, 72 ans, vit depuis plusieurs décennies dans un appartement en PPE calme et avec une vue sur la verdure. Sur le plan financier, il est à l’abri du besoin et profite de sa retraite. Il se consacre avec passion à une chorale et retrouve régulièrement ses collègues au bistrot du quartier pour manger ensemble et jouer aux cartes. Jusqu’à il y a quelques années, il voyageait volontiers dans les pays de la Méditerranée. Mais depuis quelques années, les voyages sont devenus trop fatigants pour lui.

Ueli est content de sa vie. Mais depuis le décès de son épouse il y a cinq ans, il vit seul dans le grand appartement familial. Il ne voit que rarement ses deux enfants qui vivent loin de chez lui, à l’étranger. Ueli aime la compagnie, mais l’isolement pendant la pandémie, la privation des répétitions de la chorale, les bistrots fermés l’ont rendu seul et triste.

Au cours de la pandémie, une famille de cinq personnes avec de jeunes enfants a emménagé dans un appartement locatif juste à côté. Les enfants se sont immédiatement liés d’amitié avec Ueli, qui les garde désormais régulièrement. Il reprend gout à la vie et se réjouit de cette nouvelle occupation. En contrepartie, les parents aident Ueli lorsqu’il est confronté à des difficultés avec le monde numérique.

La qualité de vie d’Ueli s’est considérablement améliorée et il a le sentiment d’appartenir à la communauté. Ensemble avec des coopératives du quartier et avec le soutien de la ville, un centre de rencontre a pu être ouvert dans le quartier, qui comprend non seulement une vaste aire de jeux, mais aussi une petite salle pouvant accueillir des événements. Ueli défend les intérêts de son lotissement au sein du comité de quartier. Avec le soutien financier de la ville, des projets communs et participatifs sont planifiés, mis en œuvre et évalués dans les domaines de la famille, de la vieillesse et de la promotion de la santé.
 

Perspectives de recherche

La grille suivante est suggérée pour la recherche sur la santé sociale. Cette grille montre clairement que des questions de recherche peuvent être déduites des perspectives de la population et de la société. Selon la perspective, l’objet est la vie saine des individus ou la vie saine en communauté.

    Bases de connaissances
(perspective de la population)
    Dialogue
(perspective de la société)
Objet      Individus     Interactions
Explicandum    Caractéristiques des individu
(p. ex. maladie physique et mentale, bien-être, bonheur, satisfaction, qualité de vie, joie de vivre, auto-efficacité, autonomie, sentiment de contrôle, reconnaissance)
      Caractéristiques des discours publics
(p. ex. ouverture, transparence, respect, aptitude à la critique, orientation vers des solutions, coproduction, confiance généralisée, participation, engagement de la société civile) 
Explicans   Facteurs sociaux et sociétaux déterminants de la santé      Conditions préalables à l’émergence de discours publics inclusifs
Méthodes   Analyse des facteurs de risque et de protection, recherche interventionnelle     Analyse des discours
Disciplines   Interdisciplinaire:
santé publique, promotion de la santé, épidémiologie sociale, sociologie médicale, travail social, philosophie, sciences sociales …