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Mesurer la forêt
27.11.2025 Combien d’eau un sol forestier peut-il stocker, et comment son humidité influence-t-elle les dangers naturels tels que laves torrentielles ou incendies ? Les forêts nous protègent, mais des mesures à grande échelle de l’humidité du sol font défaut. Le projet intelligent « Internet of Soils » entend y remédier.
Au-dessus du village de montagne valaisan de Bitsch, où un incendie a détruit une centaine d’hectares de forêt en juillet 2023, six petites stations de mesure à énergie solaire de la Haute école spécialisée bernoise se dressent aujourd’hui entre des troncs d’arbres calcinés et des zones épargnées. Elles font partie du projet « Internet of Soils » et enregistrent en continu l’humidité du sol forestier.
L’humidité comme indicateur
Pour comprendre la résistance d’une forêt aux dangers naturels et son évolution dans les conditions climatiques à venir, il est essentiel de mesurer l’humidité du sol sur le long terme. « L’humidité du sol est une grandeur centrale pour la prévision des laves torrentielles et des glissements de terrain, et joue aussi un rôle dans les incendies de forêt », explique Christine Moos, spécialiste en sciences forestières, qui dirige le projet du côté de la BFH-HAFL.
Si le sol est trop mouillé, il perd de sa stabilité et peut engendrer un glissement. En revanche, si la pluie ne tombe pas pendant une longue période, le sol se dessèche et le risque d’incendie augmente. Les conditions de sècheresse du sol déterminent en outre la vitesse à laquelle la forêt se rétablit après un incendie. Une question brulante face aux sècheresses accrues.
Ce sont toutes ces interactions qu’étudie Christine Moos. Après avoir choisi les sites de mesure adéquats pour le projet et étalonné les capteurs, elle vérifie maintenant leur fiabilité en vue de l’analyse des données.
Les capteurs envoient leurs mesures à une passerelle, c.-à-d. une station centrale, qui les transmet ensuite à l’Internet des objets, de sorte que les données sont accessibles en ligne.
Des conditions complexes
La forêt est hétérogène : les sols, les pentes et la végétation varient fortement, ce qui rend les mesures ponctuelles peu pertinentes. Cependant, on ne dispose pas aujourd’hui de mesures à grande échelle de l’humidité du sol. Pourquoi ? « Les stations sont souvent difficiles d’accès, les capteurs traditionnels sont chers et demandent beaucoup d’entretien », explique C. Moos. « De plus, il était trop compliqué de relever régulièrement les données sur place. »
Il fallait donc un nouveau système : ainsi est né le projet « Internet of Soils ». L’équipe développe avec Nikita Aigner, collaborateur scientifique de l’unité Fabrication numérique à la BFH-AHB, une solution flexible et peu couteuse qui permet d’effectuer des mesures sur de grandes surfaces pendant une période prolongée. L’élément clé : la technologie dite « long range » ou « LoRa », grâce à laquelle les données sont automatiquement transférées à une base de données.
Quelle intelligence !
LoRa est une technologie radio qui transmet des données sur de longues distances. « Les capteurs envoient leurs mesures à une passerelle, c.-à-d. une station centrale, qui les transmet ensuite à l’Internet des objets, de sorte que les données sont accessibles en ligne », explique Christine Moos. L’Internet des objets IdO est un réseau d’appareils qui échangent automatiquement des données et interagissent. La technique LoRa fonctionne même dans les régions isolées, nécessite très peu d’électricité et permet de représenter les données en temps réel.
À l’avenir, ce système pourrait devenir encore plus intelligent : les mesures pourraient cibler des moments précis, p. ex. après la pluie afin d’en observer directement les effets sur l’humidité du sol. Des capteurs supplémentaires pour la température ou d’autres grandeurs environnementales pourraient fournir plus d’informations et, combinés aux images satellites, permettre de suivre l’évolution de la végétation et de mettre en évidence les changements à long terme.
Les données forment le savoir
Les capteurs, en place depuis juin, ont livré leurs premières mesures. À présent, Christine Moos vérifie qu’ils fonctionnent de manière fiable et que les données sont transmises correctement. Dans un an, elle devrait avoir collecté suffisamment d’informations pour tirer de premières conclusions. « Nous espérons obtenir des indications sur l’impact des incendies sur l’humidité du sol et l’hydrologie de la forêt, ainsi que sur la manière dont la forêt protectrice se rétablit », explique-t-elle. Parallèlement, le projet fournit de précieuses données générales sur la manière dont les sols forestiers stockent l’eau et réagissent à la sècheresse : des bases importantes pour comprendre la résilience de nos forêts à long terme.
« Je suis fascinée par la quantité de données que nous pouvons collecter avec relativement peu d’efforts. Nous pouvons ainsi répondre aux questions actuelles sur les forêts de protection, mais aussi observer les évolutions à long terme et mieux comprendre comment nos forêts réagissent au changement climatique », déclare C. Moos.