Pas un déchet, mais une ressource

15.03.2024 Dans la production alimentaire, on ne valorise souvent pas tout. Et si les prétendus déchets étaient en réalité de précieuses ressources ? Christoph Denkel, professeur de technologie alimentaire à la BFH-HAFL, connait bien cette problématique.

Le petit-lait est un sous-produit de la fabrication du fromage.
Le petit-lait est un sous-produit de la fabrication du fromage.


Une part considérable des aliments se perd au cours du trajet entre le champ et l’assiette. Presqu’un tiers de ces pertes, c’est-à-dire 963 000 tonnes par an, constituent ce que l’on appelle les flux secondaires dans la transformation. L’économie circulaire propose une autre approche. Au lieu d’utiliser les flux secondaires de l’industrie alimentaire pour l’alimentation animale ou de les transformer en biogaz, une part importante pourrait être réutilisée dans l’alimentation humaine. Mais pour cela, l’acceptation des consommateurs et consommatrices ne suffit pas, il faut aussi de nouvelles approches technologiques et des concepts innovants.

Valoriser au lieu de jeter

« Le thème de l’upcycling dans l’industrie alimentaire est une étape importante sur la voie vers un système alimentaire durable », explique Christoph Denkel, professeur en technologie alimentaire à la BFH-HAFL. Si les flux secondaires ne peuvent être évités, il faut souvent élaborer de nouveaux concepts de valorisation sur mesure. Donnons un exemple concret : « l’okara est un sous-produit de la fabrication de lait de soja ou de tofu. Dans une première stratégie de valorisation, l’okara est transformé et structuré par fermentation solide. Le résultat est un substitut de viande qui lie particulièrement bien les liquides et a une texture très juteuse. » C’est ainsi qu’est née l’entreprise Luya Foods, première spin-off de la BFH-HAFL : ses produits sont aujourd’hui disponibles dans des restaurants et des commerces de détail suisses. 

Mais l’équipe de Christoph Denkel – le groupe de recherche « Technologie des procédés alimentaires et innovation durable » – veut aller plus loin : à savoir, préparer l’okara et d’autres sous-produits de la production alimentaire de manière qu’ils apportent également une valeur ajoutée à d’autres aliments. Par exemple, en utilisant l’okara comme ingrédient pour lier l’eau dans d’autres produits. Il faut pour cela « un processus de transformation approprié, qui soit surtout adaptable à différentes échelles. » Il est clair que le développement technologique est essentiel pour réduire les flux secondaires dans l’industrie agroalimentaire. Quels sont les autres facteurs qui jouent aussi un rôle ?
 

Christoph Denkel, professeur en technologie alimentaire
«L' upcycling est une étape importante vers un système alimentaire durable», explique le professeur Christoph Denkel.

De bonnes ressources

L’ingénieur alimentaire constate qu’à l’exception de quelques sous-produits animaux - provenant notamment des abattoirs - de nombreux flux secondaires sont consommables. Pourtant, « cela n’indique pas s’ils sont exploitables », nuance Christoph Denkel. Car cela dépend d’autres aspects. « L’un des facteurs, c’est ce que l’on veut remplacer : si l’on peut remplacer des matières premières de haute qualité, comme des protéines, il y a de bonnes chances de trouver une utilisation. » 

L’aspect sensoriel est un autre élément à ne pas sous-estimer : « Un gout particulier intense, qui reste perceptible dans le produit final, limite fortement les possibilités d’utilisation d’un flux secondaire », poursuit C. Denkel. « Dans ce domaine, nous menons des recherches sur les stratégies de réduction des arômes indésirables. » Par exemple, en collaboration avec le groupe de recherche « Bioconversion et cultures protectrices » et la division Disciplines transversales (SüD). L’alternative végétale aux œufs de la société EggField est un bon exemple de réussite à cet égard : la startup, avec laquelle la BFH-HAFL collabore étroitement, fabrique un produit à base d’extrait de pois chiches qui mousse, lie, émulsionne et gélifie. Utilisé dans le produit final, il est à peine perceptible sur le plan sensoriel. 

Exploiter les potentiels

« La valeur d’un flux secondaire dépend aussi fortement de facteurs économiques », ajoute Christoph Denkel. C’est précisément le défi posé par un sous-produit de l’industrie laitière : le lactosérum. Celui-ci convient certes bien à notre alimentation, mais il constitue un flux secondaire plutôt difficile à exploiter en raison de facteurs économiques. Le plus gros problème, c’est qu’il est produit lors de la fabrication du fromage, processus décentralisé en Suisse qui a lieu dans un grand nombre de fromageries. Une valorisation centralisée est limitée par les couts logistiques, tandis qu’une valorisation décentralisée nécessiterait des investissements importants dans des installations qui ne seraient que peu utilisées. 

Et quel est le profit pour les consommateurs et consommatrices ? Selon C. Denkel, « On le trouve potentiellement à plusieurs niveaux. Si l’on réussit à substituer des composants couteux, le prix du produit diminue. Si l’on peut intégrer des fibres alimentaires, c’est excellent du point de vue nutritionnel et, bien sûr, la durabilité augmente globalement. »
 

L'okara est transformé en substitut de viande
La production de lait de soja génère un sous-produit, l'okara, qui devient un substitut de viande. (Image : Luya Foods)

Encourager le changement de mentalité

Avec son plan d’action contre le gaspillage alimentaire, le Conseil fédéral vise haut : il prévoit de réduire de moitié les pertes alimentaires évitables d’ici 2030 par rapport à 2017. Dans ce contexte, l’industrie alimentaire et la meilleure valorisation des flux secondaires constituent un domaine important. Pour mener à bien ce changement, il faut des expert-e-s qui pensent de manière interdisciplinaire et innovante. « Grâce à leur solide formation, les étudiant-e-s en Food Science & Management de la BFH-HAFL disposent des outils nécessaires pour assumer des responsabilités dans la transformation du système alimentaire », se réjouit Christoph Denkel. Le thème de la durabilité est intégré à de nombreux modules et en outre, un accent particulier est mis sur l’utilisation de matières premières non animales.

La BFH-HAFL attire aussi les jeunes pousses : les chercheurs et chercheuses en alimentation collaborent avec de nombreuses start-ups et actuellement, deux d’entre elles sont installées sur son campus. Les jeunes entrepreneurs et entrepreneuses utilisent l’infrastructure existante et les compétences de recherche de la BFH-HAFL pour (continuer à) développer leurs projets. « Leurs objectifs de recherche sont certes très différents, mais ces entreprises ont une chose en commun, et aussi avec nous bien sûr : elles s’efforcent de rendre l’industrie alimentaire plus durable », explique Christoph Denkel. 


L'article est tiré de : focusHAFL 2/23

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Domaine: Life sciences + sciences alimentaires